Invitée en résidence de production au lycée Jean-Zay à Thiers, Silvana Mc Nulty a établi son atelier sur le plateau technique où se trouvent les machines de thermoformage, d'injection plastique et d'outillages. Installée dans une cellule vitrée qui l'isole autant qu'elle l'expose au contexte industriel environnant, Silvana Mc Nulty crochète, des heures durant, des ouvrages de fils qui réunissent des objets fonctionnels ou des rebuts récoltés au pied des machines. Dans ses nouvelles pièces, l'artiste choisit un fil de couleur mis en forme par le crochet qui génère une grammaire de mailles répétitives pour souligner avec fantaisie le périmètre des objets assemblés. Le fil glisse précisément d'une perforation à l'autre, reliant les orifices naturels aux percées mécaniques produites dans les différents objets. L'artiste a choisi de créer des confrontations entre des pièces organiques telles que des coquillages, des feuilles d'arbres et des pièces industrielles comme des joints de plomberie, des engrenages, des chutes de découpes industrielles qui produisent le télescopage de différents mondes : celui de la mer, du milieu scolaire mais également celui des machines, des processus industriels et manufacturés. Cette technique d'assemblage toute personnelle émane d'une approche intuitive tout d'abord guidée par le souhait de concevoir à l'échelle de la main. Il est possible d'attribuer cette pratique de la sculpture à son apprentissage de la joaillerie puis du bijou contemporain qu'elle envisage comme un art transportable en relation au corps. Impliquée quotidiennement dans sa pratique, Silvana Mc Nulty a également choisi de travailler avec des matières faciles à manipuler, légères et peu onéreuses. Libre à elle de déplacer ses réalisations partout pour travailler ou les exposer. Cette liberté d'expression s'affirme en pleine conscience du fait que les femmes ont longtemps été prisonnières des pratiques textiles autrefois peu considérées. Travailler la maille et relier grâce à elle autant d'objets de son quotidien est devenu un vocabulaire pour Silvana Mc Nulty qui revendique sa filiation avec les femmes artistes qui en ont, elles aussi, détourné les usages. C'est le cas d'Anni Albers qui apprit le tissage à contrecœur avant d'en révolutionner les codes et les structures par l'influence de la peinture abstraite ou d'Eva Hesse qui utilisa les cordages présents dans l'usine qu'elle occupait pour concevoir des pièces d'une charge émotionnelle nouvelle. En France, Marinette Cueco racontait que c'est après avoir délaissé le métier à tisser qu'elle entama un travail sculptural plus libre fait de tressage de fibres végétales.
Sur le plateau technique du lycée Jean Zay, la main de Silvana Mc Nulty monte silencieusement les mailles au crochet. Chaque boucle qui se crée émerge régulièrement dans l'ouvrage. Tandis que les machines qui l'environnent battent la mesure, elle formule un langage organique autour des objets et des débris dont elle ignore parfois l'origine. Sublimant cette matière « pauvre » par ses boucles reliées les unes aux autres, elle crée des chaînes rappelant les maillons du langage. À travers un réseau de symboles récurrents, elle tisse une grammaire personnelle, une écriture cryptée, indéchiffrable aux yeux des autres, qui échapperait en quelque sorte à la logique du sens et du verbe.
Sophie Auger-Grappin