February 22 - May 2, 2018

Most people are wrong about things

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Charlie Hamish Jeffery
Most people are wrong about things
Commissariat : Julie Portier
La Salle de Bains
Février – Mai 2018

Salle 1
du 22 février au 29 mars 2018

De l'extérieur, l'exposition de Charlie Hamish Jeffery se présente comme une peinture abstraite dans l'espace, où les murs reçoivent, sur leurs surfaces monochromes, des mots inscrits en néon. Ce premier constat est juste. Et ceux qui en resteront là, sur le pas de la porte, ont peu de chance de se tromper. Ils pourraient, depuis ce point de vue, reconnaître un certain nombre de gestes validés par l'histoire de l'art moderne – en particulier dans son versant minimal, conceptuel et masculin – si le choix des couleurs, opéré dans une gamme strictement fluorescente, n'exprimait une certaine frivolité. Les jaunes, oranges, roses fluos ont été introduits il y a quelques années dans la peinture de Charlie Hamish Jeffery pour leur capacité physique à renvoyer un maximum de lumière, comme si la couleur cherchait à atteindre le summum de son e et sur la rétine. Ces couleurs apparaissent ailleurs, dans les compositions abs- traites qui semblent dessiner des perspectives tronquées, réunies sous l'intitulé « Illusion for people ». La première salle de l'exposition Most people are wrong about things, est une proposition à pénétrer dans la peinture, à entrer dans l'image – ce qui conceptuellement, pourrait déjà procurer le léger frisson qu'accompagne un acte transgressif. Cette image est, tout d'abord, celle que l'on apercevait à travers la vitre, et maintenant, celle qui se reflète dans le miroir. A l'intérieur, la proposition conceptuelle se retourne en une expérience sensorielle suspecte. Tout ce qui avait l'air simple pourrait engendrer une série de problèmes, sans compter que l'addition des couleurs fluorescentes et de celle des néons commence à altérer légèrement les capacités de discernement du cerveau. Aussi, ce qui passait pour une formule dialectique (quatre couleurs, trois mots) démultiplie, dans sa nébuleuse colorée, les questionnements sans réponse, l'usage du langage étant toujours insidieux chez Charlie Hamish Jeffery. Ces mots ordinaires, qui se présentent de manière littérale, sont des concepts flottants : il n'y a pas de problème qui ne soit particulier, pas d'image abstraite, pas de soi en soi. En tant qu'équation, « self » – « image » – « problem » ne trouve aucune solution sauf à soulever un sérieux doute existentiel. Il s'agirait de laisser les hypothèses se dérober dans ce mouvement centrifuge, tandis que ce générateur de problèmes continuera à turbiner au-delà de la première salle, dans un effet de persistance rétinienne.

 

Salle 2
du 3 avril au 5 mai 2018

 
La première salle de l'exposition de Charlie Hamish Jeffery était un espace peint, où s'affichaient trois mots en lettres lumineuses : « self », « image », « problem ». Entrer dans une peinture comporte des risques. De même, ceux que l'on prend en franchissant la porte d'une exposition sont généralement sous-estimés. Aussi, l'exposition est-elle souvent l'occasion de reformuler, pour la rendre explicite, la perversité de son dispositif. A cet égard, certaines des œuvres de Charlie Hamish Jeffery s'adressent directement au spectateur en lui réclamant l'attention particulière que suppose tout objet présenté dans une exposition, cela tout en faisant diversion par leur simple présence à titre d'œuvres. L'on pense à Concentrate the mind on something, think about something else qui est ailleurs apparue sous la forme d'une inscription au mur dans l'espace d'exposition, où l'œuvre se tient de manière stupéfiante comme un obstacle à une expérience esthétique complète. En d'autres termes, l'exposition est un problème au moins aussi périlleux que ceux qui entourent la représentation de soi, tous ces problèmes étant, dans une acception artistique, terriblement liés.

La deuxième salle de « Most people are wrong about things » laisse entrer les spectateurs dans une peinture qui contient d'autres peintures. Prise entre deux miroirs, cette exposition dans une peinture s'étend dans un espace infini, ou bien la répétition incessante d'une image d'exposition. D'autres individus seront peut-être attirés par les tubes lumineux utilisés par les entomologistes pour collecter divers spécimens d'insectes sur une surface d'observation, un dispositif auquel l'artiste s'intéresse en tant que phénomène inversé du cinéma. Il est peu probable que cette attraction réflexe ait quelque chose à voir avec l'identification d'un objet artistique à travers la vitre – quoique l'évolution des espèces comporte des potentialités infinies – mais avec le fait que la trajectoire des insectes se réfère à la position des astres, de sorte que l'émission d'une lumière artificielle provoque chez eux une désorientation sévère. Si la cohabitation éventuelle des spectateurs avec les insectes dans cet espace suggère, sinon des analogies comportementales, la potentialité d'une expérience collective, l'on pourrait se tromper en y voyant autre chose que ce à quoi cela ressemble : une exposition de peintures récentes de Charlie Hamish Jeffery. Aussi, la variété des séries de peintures représentées dans l'exposition pourrait-elle être considérée en terme de « variation » à partir d'une catégories d'objets regroupés sous une définition générique qui accepte une multitude de formes : de la peinture appliquée en une série de gestes sur une surface plus ou moins délimitée par les bords du tableau. Toutes procèdent d'une même activité dont la répétition engendre de nouvelles manières de peindre – quant au degré d'expression du geste ou au respect d'un protocole de recouvrement de la toile – en contrariant toute lecture généalogique d'une pratique voulant que le paysage laisse place à la grille, ou encore, que l'affirmation de la planéité de la peinture cède à l'exploration d'un espace illusionniste. Peut-être ont-elles en commun de ne jamais confirmer d'être ce qu'elles sont – puisque la forme affirmative est rare chez Charlie Hamish Jeffery, sauf à s'énoncer dans un manifeste en faveur du doute (Doubt as form). Leur apparition radieuse dans ce contexte coloré partage avec l'existence poétique des insectes, comme avec la plupart des choses qui, dans l'œuvre de l'artiste, répondent aux lois de la transformation perpétuelle, de donner le signe de l'impermanence, comme si ce que l'on regardait maintenant était déjà en train de devenir autre chose.

 

Image : Vue de l'exposition "Most people are wrong about things", Charlie Hamish Jeffery, La Salle de Bains, 2018 / Commissariat : Julie Portier / Courtesy de l'artiste & Galerie Florence Loewy, Paris / Photo : Jules Roeser