September 7 - November 2, 2024
Que veut la vie quand tu chutes
Le ballet quotidien de l’ordinaire démarre en grande pompe
Je prends mon corps
toutou docile (parfois seulement),
je le promène
dans la solitude petite et bête de cette ville
récemment mise au propre
Kärcher, pelleteuse & matraque
télescopique
Le quadrillage urbain
plus Blanc que blanc/he, rappelle une pub surannée
de lessive
ou les bords érodés d’une gomme
frottée avec vigueur
contre tables et murs solitaires
d’école
Pantin heureux, je contemple les fils
qui mobilisent un à un mes membres, et la courbe douce
et metallique
de mon échine
Sur la pointe des pieds, malhabiles
mes gros orteils prennent la grosse tête
Mes genoux, mes hanches, se désarticulent
Ma conscience d’être
je la retourne
comme une chaussette
que l’on enlève en fin de journée
d’un geste facile
Dans leur exécution, les choses les plus banales me semblent complexes
car lorsque la mécanique charnelle devient apparente
c’est toute la charpente alors
qui vacille
Je prends la pose
stoïque et cool, décharné·e, oisif·ve, abattu·e, tragique
triomphant sur les trésors chics
qu’iels délaissent
sur les trottoirs
Je désigne du doigt
la nuit sans lune
Ivres, pensif·ves
iels se retournent
pour contempler l’élégance sans pareil
de mon geste magique
À portée de main
Ramette vierge, 80g
papier, ciseaux, Tipp-Ex liquide
forme une croûte grise usée
par le frottement des heures stagnantes
Les mains (encore), découpent, composent
des bouts épars d’histoires sincères
2D réel, automatique, je dessine
volutes ornées et végétations minuscules
pour accompagner mes sirènes pref
défuntes et fragiles
L’angoisse colle au fond de la poche de mon vieux jean
étiquettes, post-its, rubans, paillettes
couleur chewing-gum
et chlorophylle
Le sel d’une mer cristalline
recouvre avec pudeur l’envie obscène
de me faire croquer la chair des fesses
par un squelette
et de danser sans peur avec cette déchirure physique
qu’est vivre
Que diable te veut la vie quand tu t’obstines
à rassembler fragments, cellules et gymnastique
d’objets, de douleurs
et de fatigue,
ou de complaintes inaudibles de souffrances chroniques
Sur les rebords, les fioles
sentent fort l’alcool
anesthésie aphasique
de mon anatomie buccale
J’étale mon dos pété sur un banc public
Du silence enneigé et immobile
d’il y a vingt ans
il reste quand même, un peu, la joie placide de la glisse
sur la poudreuse
Ana Mendoza Aldana, 2024
***
The daily ballet of the ordinary starts up with a fanfare
I take my body
a good little dog (some of the time)
for a walk
in the small and stupid solitude of this city
that’s just been cleaned up
pressure washer, JCB & telescopic
nightstick
The city grid
Whiter than white, recalls a dated advert
for detergent
or the worn edges of an eraser
rubbed vigorously
against lonely classroom tables and walls
of a school
A happy puppet, I contemplate the strings
that move my limbs one by one, and the soft
metallic
curve of my bent-over-backwards spine
On my clumsy tiptoes
my big toes go to my head
my knees and hips unhinge
I turn my self awareness
inside out
like a sock
slipped off at the end of the day
with one easy gesture
As I carry them out, the simplest things seem complex
because when the body’s mechanics begins to show
the whole chassis
starts to shake
I strike a pose
stoic and cool, emaciated, idle, despondent, tragic
triumphing over the chic treasures
that they leave behind
on the pavements
I point my finger
at the moonless night
Drunk, pensive
they turn round
to contemplate the unrivalled elegance
of my magic gesture
In arm’s reach
blank sheets, 80g
paper, scissors, Liquid Paper
forms a worn grey crust
through the rubbings of stagnant hours
Hands (again) cut up, decompose
random scraps of sincere stories
2D real, automatic, I draw
ornate scrolls and tiny plants
to accompany my fave sirens, deceased and fragile
Anxiety sticks to the bottom of the pocket of my old jeans
labels, post-its, ribbons, sequins
in shades of chewing-gum
and chlorophyl
The salt of a crystalline sea
prudishly covers over my obscene desire
to have the flesh of my ass
bitten by a skeleton
to dance without fear with this physical tear
that is life
What the hell does life want from you when you insist
on gathering fragments, cells and a gymnastics
of objects, of pain
of fatigue,
of inaudible complaints of chronic suffering
On the side, the vials
smell strongly of alcohol
aphasic anaesthesia
of my buccal anatomy
I stretch my broken back out on a public bench
From the still and snowed-in silence
of twenty years ago
there's still a little of the placid joy of sliding
over powder snow
Ana Mendoza Aldana, 2024
Translate by James Horton
***
DAVID POSTH-KOHLER
Né en 1987 à Annecy
Vit et travaille à Paris
« David Posth-Kohler a longtemps détourné des objets de consommation emblématiques de la mondialisation (sac à dos, baskets, téléphone portable) pour les refaçonner à l’aide d’un artisanat local croisé lors de ses nombreux voyages : peinture en lettres et fonte d’aluminium à Cuba, taille du bois et travail du cuir au Sénégal... L’autonomie technique qu’il y découvre l’incite à « être sa propre petite industrie ». En induisant une finition unique éloignée du simulacre, ces pratiques vernaculaires dévoilent le fétichisme consumériste de ces objets mondialisés produits en série. (...) Puis le recours à la figure se généralise dans l’ensemble Menteur Mentor, une tribu de pantins articulés de toutes tailles, composés d’éléments de céramique et d’objets ou matériaux récupérés. L’artiste affuble ses pantins-marionnettes de noms génériques mais emblématiques : « Les Joueurs de cartes », « La Danseuse et l’Attentif », « Le Berger », « Le Dealer », « Le Démon », etc. Ses personnages partagent le même caractère composite, la même « impureté », que La Petite Danseuse de 14 ans de Degas, dont la première version de 1881 était réalisée en cire et vêtements récupérés. Plus directement, l’artiste s’inspire de motifs récurrents de l’histoire de l’art comme Les Joueurs de cartes (du Caravage à Cézanne) ou La Leçon d’anatomie de Rembrandt pour L’Observant, mais aussi des grands pantins de carnaval et de la danse contemporaine (celle d’une Gisèle Vienne intégrant des poupées, ou celle, obsédante, d’Olivier Dubois)..
Mains et pieds sont un tropisme récurrent du travail de David Posth-Kohler : on peut compter sur les premiers pour danser et arpenter le monde, sur les deuxièmes pour façonner la matière. Dans «Menteur Mentor», les mouvements qu’ils esquissent confèrent toute leur expressivité aux personnages dont certains, au corps quasi absent, se résument à leurs gestes (La Danseuse, Le Mendiant). Leurs postures et amorces de mouvement sont soutenues par des éléments – tiges, planches, plaques, caisses, etc. - relevant tout autant du socle, du podium que du mobilier contre ou sur lesquels ils peuvent s’accouder, se reposer, jouer, etc. A chaque exposition, l’artiste les reconstitue à l’aide de matériaux et d’objets trouvés sur place, renouvelant ainsi leur pantomime.
De toute évidence, l’artiste renoue ici avec la vie de saltimbanque qui a baigné son enfance : cinéma expérimental de la Compagnie du carton-pâte, chant de rue accompagné de l’orgue de barbarie, spectacles de magie, etc. (...) »
Extraits du texte « Des pieds et des mains »
d’Anne Giffon-Selle (2023)
***
MANOELA PRATES
Née en 1984, Brésil
Vit et travaille à Rennes
Manoela Prates convoque dans son travail la notion de « gambiarra », qui signifie en brésilien : acte d’ajustement, d’improvisation, de transformation, pour trouver une solution à une problématique. Les dessins de Manoela Prates flottent ainsi entre le collage, la peinture, entre les vestiges d’une enfance baignée dans la culture brésilienne et un imaginaire visuel qu’elle absorbe dans le réel.
Sa pratique quasi quotidienne, prends forme généralement dans des formats standards : feuilles volantes, feuilles extraites de carnets, des supports extraits du quotidien (emballages cartonnés), réalisée avec des outils précaires : toutes sortes de feutres, crayons de couleur, gouaches, aquarelles, encres, colles pailletées, autocollants, images découpées dans des magazines, blancos d’écoliè·res, ou autres matériaux trouvés au hasard dans son espace domestiques ou dans des supermarchés.
Manoela Prates, alimente un jeu constant entre les formes et les sujets, tels que la maternité, la mort ou encore l’érotisme, entre une iconographie du réel et celle de l’inconscient. Ce frottement entre des formes imaginaires et des figures inspirées du quotidien, lui permettent de dessiner les contours de rencontres inattendus qu’elle provoque. Basculant d’une esthétique à l’autre, de tracés enfantins jusqu’aux traits et compositions plus classiques, Manoela Prates dessine des scènes dans lesquelles elle maintient le flou entre les frontières d’un langage visuel qui lui échappe parfois.
Explorant ces possibles surgissements, Manoela Prates développe parallèlement une pratique d’écriture, qui lui permet d’approfondir d’autres champs poétiques en marge du dessin. L’écriture de Manoela Prates s’inscrit dans une pratique quotidienne d’écoute, d’attention à une étrangeté du monde qui la traverse. Entre dessin et écriture, Manoela Prates témoigne de son rapport au réel, qu’elle digère parfois avec ironie et une pointe de drame.