September 6 - October 11, 2025

Janaina

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Camila oliveira fairclough


Camila Oliveira Fairclough (Rio de Janeiro, 1979) « aime l'idée qu'un tableau ait une identité, comme une personne »(1). Ses peintures pourraient s’apparenter à une galerie de personnages. Elles s’appellent Claire, Chloe, Olive, Rosa, Floyd, Rob, Aktypi, Norma… Elles portent aussi des noms en forme de signes de ponctuation, d’accents, de lettres ou de symboles, qui affichent leur caractère. D’autres ont pour titre des mots, des expressions ou des slogans qui interpellent, rient, s’exclament ou chantent, « comme s’il y [avait] quelqu’un caché derrière la toile » se plaît à imaginer l’artiste. 
Pour son exposition chez Florence Loewy, et les œuvres qu’elle y présente, Camila Oliveira Fairclough a choisi de donner le nom de Janaina(2).


Janaina est un prénom courant et apprécié au Brésil, terre natale de l’artiste. Il est le nom affectueux de Yemanjà, la Reine des eaux, fille d’Olokun, un esprit divin parfois féminin, d’autres fois masculin ou androgyne qui lui a donné un corps mi-femme mi-poisson. Protectrice des Yorubas, les Portugais la rencontrèrent au début du XVIe siècle sur les rives du fleuve Niger. Avec les esclaves à qui l’on demandait d’oublier leur identité, et qui l’ont pris pour « mère », Yemanjà a traversé l’Atlantique. La sonorité des syllabes, ja nã inã, évoquerait également des mantras afro-brésiliens ou tupi-guarani. Janaina relie ainsi les sources indigènes, africaines et européennes qui irriguent la culture brésilienne.


Cette circulation entre des histoires, des espaces et des mémoires que convoque Janaina, fait aussi écho aux déplacements de l’artiste, qui depuis son enfance, a vécu dans plusieurs pays. A chaque escale, Camila Oliveira Fairclough s’est imprégnée de nouvelles langues et de nouveaux imaginaires. Elle a appris à aiguiser son attention sur le langage et à considérer ses formes (ses lignes, ses couleurs, ses sonorités) indépendamment des sens qu’il véhicule. L’artiste qui pratique l’art du collage et du montage, s’est nourrie de cette expérience pour intégrer ces éléments à sa palette comme des matériaux à part entière de ses peintures. Elle joue ainsi dans ses tableaux avec la plasticité des formes et y incorpore les images mentales qu’éveillent ses titres qui viennent à leur tour dialoguer avec l’image peinte.
Attentive aux procédures et aux paramètres de l’exécution de ses peintures, elle se laisse aussi porter par ses intuitions et son goût pour l’expérimentation et l’improvisation. Les œuvres exposées chez Florence Loewy où se rencontrent l’aléatoire et le prémédité, attestent de cette ambivalence dans le processus de création. L’artiste se sert ici de patrons utilisés habituellement pour reproduire des motifs sur des surfaces à peindre, et en détourne l’usage faisant de l’outil lui-même un motif et la source de diverses manipulations (motif coupé, collé, débordé, contourné…). Sur des toiles standards prêtes à l’emploi elle a déposé des fragments de ces modèles imprimés recto-verso, en choisissant certains dessins (sirènes, fleurs, oiseaux, décors géométriques, figures féminines), jouant des effets de transparence et de superposition, avant de faire librement intervenir sa fille avec des touches de peintures aux tonalités de bleu, rose, vert, ou jaune.


Le procédé n’est pas sans rappeler celui utilisé par Andy Warhol pour sa série des peintures « à faire soi-même » de 1962. Aussi inspirées de kits de peinture, ces toiles furent parmi ses dernières peintes à la main avant qu’il n’adopte la méthode sérigraphique. Si l’on peut déceler à l’instar d’Andy Warhol, un commentaire sur la créativité personnelle, et un même retrait apparent de l’artiste, les peintures de Camila Oliveira Fairclough n’en manifestent pas moins l’engagement du peintre dans leur conception. Le tableau ne se résout pas au simple résultat. Le processus qui l’a vu naître est tout aussi essentiel, il implique des choix, de l’attention, savoir répondre à ses attentes. Veillant à la peinture, comme une mère sur son enfant, Camila Oliveira Fairclough a accompagné sa fille avec discrétion tout le long de son intervention. La toile préalablement préparée avec ses motifs choisis à dessein, comme une offrande à Yemanjà, s’est transposée en une surface d’échange, d’écoute et de partage. L’image des barques mises à l’eau le 31 décembre sur les plages de Rio, emplies de parfums, de peignes, de miroirs, de fleurs et de bijoux, offerts à la déesse de la mer est toute proche et plane sur les tableaux. Avec Janaina, et ses gestes de peintre, Camila Oliveira Fairclough rend à sa façon un humble et très sincère hommage à la peinture.

Noëlig Le Roux, août 2025


 


(1) Arlène Berceliot Courtin, entretien avec Camila Oliveira Fairclough, Slash, 11 avril 2014.
(2) La série des œuvres réalisées à partir de patrons a été exposée à Piacé le radieux, Bézard-Le Corbusier, à Piacé, sous le titre « Grandeur nature » (6 avril - 28 avril 2024). Ce titre rappelait la fonction et le nom des patrons pour reproduire à la même échelle les motifs imprimés sur leur surface.