October 18 - November 29, 2025
Pure Trance
FR : Pour celles et ceux qui, comme moi, ont grandi au contact des images de Junko Mizuno, l’empreinte est profonde. Pure Trance, bande dessinée publiée à la fin des années 90 au Japon dans des compilations de trance music est une œuvre culte de l’esthétique ero-guro-kawaii.
Le kawaii reste difficile à saisir en France, tant il convoque un imaginaire lié à l’enfance. Il peut pourtant cohabiter avec des sujets graves, adultes ou douloureux, voire être instrumentalisé pour détourner notre vigilance. C’est précisément dans cette tension - entre innocence et malice, douceur et autorité - que réside sa force subversive.
Chez Matthias Garcia, il s’agit avant tout d’un déploiement de liberté. L’artiste imagine un monde à la Donna Haraway, affranchi des codes humains, hors de tout spectre binaire. Ses dessins sont des portraits de créatures à la fois attendrissantes et inquiétantes - inquiétantes parce qu’elles nous sont étrangères. Ses figures marines prennent racine dans des souvenirs enfouis tandis que leurs délicats cheveux se mêlent au clapotis des vagues, pour recueillir comme des bijoux les éclats de lumière du soleil ou de la lune.
Les pages de Pure Trance sont parfois dures à regarder, comme les peintures de Charlotte Houette. C’est parce qu’elles piquent qu’elles séduisent. Elles mettent dans un état second. Le motif et les couleurs émettent une vibration, un effet optique qui pousse à détourner le regard. Mais, au cœur de cette résistance surgit une tension : fenêtre, pop-up, apparition, glissement… autant de passages qui ouvrent vers un secret. Ses peintures imposent la relation ; elles s’infiltrent dans nos têtes par les yeux, elles activent le désir. Et du désir, il en faut pour exercer nos métiers, pour continuer à chérir les images.
Loïse Hulin façonne des formes qui semblent vouloir s’affranchir de leur matière. Sa sculpture est un pantin étendu sur un plateau d’hôpital, oscillant entre scène macabre et objet ludique. On y joue comme à un Docteur Maboul : la pince devient outil d’autopsie. Sous l’apparente innocence du jouet pop s’insinuent la froideur du métal médical et la pesanteur d’un corps sans défense. Plus drôle que morbide, la pièce évoque ces jouets gores popularisés par la consommation de masse - Monster High, Creepy Crawlers et autres chimères. Enfants et adultes sont confrontés à la même ambivalence : l’horreur amuse autant qu’elle fascine. Ce qui glace, c’est la manière dont elle se voit neutralisée et digérée par le capitalisme.
Pure Trance, ça se passe après la guerre, le chaos, la catastrophe, une angoisse omniprésente qui traverse également les installations de Solveig Burkhard, mais qui s’y mue en force émancipatoire. Solveig c’est la fille cool des mangas, celle qui casse une montagne avec son poing. Elle avance avec l’insolence qui manque souvent aux systèmes de l’art institutionnel. Son œuvre porte une violence intérieure, qui émerge dans l’enfance, jaillit et explose - quand ça explose, ça détruit tout et puisque rien ne disparaît, tout renait sous une forme nouvelle. Dans War Babies, installation inspirée d’un hôpital irradié de Tchernobyl, une colonie de baigneurs en céramique semble prête à se faire la malle.
Quand je suis confrontée à une injustice, au doute, au stress ou à une décision difficile, je pense à la guerre justement. Quand on me saoule, quand on saoule mes potes, quand mes potes se saoulent eux-mêmes avec des pensées parasites, je leur dis : « C’est la guerre, merde ! » Et quand je pense au marché de l’art en crise - aux galeries qui ferment, aux institutions qui rament, aux artistes qui galèrent - je me dis : « C’est la guerre, alors il faut tout cramer. »
Pure Trance, c’est presque trop réaliste et plaisant pour ressembler à un cauchemar.
— Colette Mariana
EN: For those who, like me, grew up surrounded by Junko Mizuno’s images, the mark runs deep. Pure Trance, a manga published in the late 1990s in Japan within trance-music mixtapes, is a cult work of the ero-guro-kawaii aesthetic.
Kawaii remains hard to grasp in France, since it evokes a childlike world. Yet it can coexist with serious, adult, or painful themes — even be used to disarm us. Its subversive power lies precisely in that tension: between innocence and wicked charmn, tenderness and authority.
In Matthias Garcia’s work, it’s first and foremost an expression of freedom. The artist imagines a Donna Haraway–like world, freed from human codes, beyond binaries. His drawings portray creatures both endearing and unsettling — unsettling because they are strangers to us. His marine figures grow from deep-rooted memories, while their delicate hair mingles with the lapping waves, catching, like jewels, the glints of sunlight or moonlight.
The pages of Pure Trance are sometimes hard to look at — like Charlotte Houette’s paintings. They seduce because they sting. They place you in a kind of trance. Pattern and color vibrate, producing an optical tremor that makes you want to look away. Yet at the heart of that resistance, a tension emerges: window, pop-up, apparition, slide… so many passages that open onto a secret. Her paintings impose a relation; they slip into our minds through the eyes, they activate desire. And desire is what we need to keep doing our jobs, to keep loving images.
Loïse Hulin shapes forms that seem to want to break free from their material. Her sculpture is a puppet stretched out on a hospital tray, poised between macabre tableau and playful object. You play with it like Operation: the tweezers turn into an autopsy tool. Beneath the toy’s pop innocence lurk the chill of medical steel and the weight of a defenseless body. More funny than morbid, the piece recalls the gore toys popularized by mass culture — Monster High, Creepy Crawlers, and other hybrids. Children and adults alike face the same ambivalence: horror amuses as much as it fascinates. What’s chilling is how it becomes neutralized and digested by capitalism.
Pure Trance unfolds after war, after chaos, after catastrophe — a pervasive anxiety that also runs through Solveig Burkhard’s installations, but there it transforms into a force of emancipation. Solveig is the cool manga girl, the one who shatters a mountain with a single punch. She moves forward with the kind of insolence often missing from institutional art systems. Her work bears an inner violence that erupts in childhood, springs forth and explodes—when it explodes, it destroys everything and, since nothing disappears, everything is reborn in a new form. In War Babies, an installation inspired by an irradiated Chernobyl hospital, a colony of ceramic bathers looks ready to make a break for it.
When I face injustice, doubt, stress, or a hard decision, I think about war, precisely.When someone pisses me off, when they piss off my friends, when my friends intoxicate themselves with intrusive thoughts, I tell them: “It’s war, damn it!” And when I think about the art market in crisis — galleries closing, institutions floundering, artists struggling — I tell myself: “It’s war, so let’s burn it all down.”
Pure Trance is almost too real, too enjoyable, to pass for a nightmare.
— Colette Mariana