December 11, 2025 - February 21, 2026

Biomimético-imago

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Dans les volutes du papier marbré, se dessinent des cours d’eau.

À la Galerie Florence Loewy, des ruisseaux affluent : ceux que Caroline Reveillaud a pu observer depuis 2022 et qu’elle fait resurgir ici, pour cette exposition. Au creux de leurs lits, vit un animal silencieux et discret : le bivalve d’eau douce, sentinelle de nos écosystèmes. Ce témoin de notre histoire a traversé avec patience les âges de la Terre et recouvre avec peine nos territoires actuels.

Dans ses précédentes expositions, les films, sculptures et éditions de Caroline Reveillaud interrogeaient nos rapports aux représentations issues de l’héritage moderne qui parcourt l’art et son histoire. Pour l’exposition Biomimético-imago, l’artiste opère un déplacement : elle s’éloigne de ce que produit l’art et se tourne vers ce que produit le vivant. Elle s’intéresse à l'idée d’une image sensible[1] : une pré-image formant un espace intermédiaire, où “sujet” et “objet” n’ont de cesse d’interagir. Une image qui ne serait plus une représentation fixe et plane, mais une forme élastique et plastique. Un sas avant l’image, un réseau de strates dynamique et organique, une somme de relations.

Les bivalves nous informent sur la qualité de nos cours d'eau, sur l’histoire de la Terre, celle de notre culture et de notre économie, ainsi que sur les écosystèmes fragiles et en péril à l’heure de l’écologie contemporaine[2]. On les retrouve également au cœur de nos représentations dans le domaine des sciences, celles-là même qui ont contribué à l’élaboration de l’objectivité[3] scientifique. L’artiste nous invite à envisager cet animal et ses espèces comme un catalyseur, un nœud dans l’espace et dans le temps, qui constitue cette image avant l’image et élabore une écologie qui lui est propre. Les deux pieds avertis dans les rivières et entourée de veilleur.euses éclairé.e.s (chercheur.euses, responsables de collections ethnographiques et zoologiques, écologues, naturalistes, biologistes, scientifiques, etc.), l’artiste nous donne à voir cette moule d’eau douce comme une image sensible, qui nous éclaire sur la teneur de nos rapports au vivant.

Pour sa quatrième exposition à la Galerie Florence Loewy, Caroline Reveillaud présente trois sculptures à hauteur de regard. Leurs formes empruntent au cabinet de curiosités, au lutrin ; des dispositifs qui ordonnaient autrefois les collections. Elles évoquent l’avènement du naturalisme moderne au XVIIIe siècle, période charnière où l’observation minutieuse du vivant devient méthode, où la connaissance passe par la mise en vue (truth-by-nature). Les dessins naturalistes instauraient un rapport direct entre l’œil et le sujet : on montrait pour apprendre, on rassemblait pour comprendre. Avec Biomimético-imago, l’artiste réemploie cette économie du regard, en prolongeant jusque dans la fabrication de ses sculptures des techniques empruntées à sa pratique de la reliure.

Si son film éponyme ne sera présenté sous la forme d’images en mouvements qu’en 2026, l’artiste montre ici sa version sculpturale, composée de trois espaces distincts. À la manière de bandes filmiques, ces assemblages d’objets hétéroclites composent des images fragmentaires. Un premier chapitre évoque le musée, ses collections et le dessin d'après nature. Sont présentés, un ouvrage naturaliste, une tabatière victorienne, des gravures et des anodontes des cygnes. Un second chapitre nous conduit au laboratoire, où la vision et la connaissance sont augmentées par la biologie moléculaire et la reconstruction d’images en 3D. Y apparaissent des disques de machines à rayons X et un picking tray – cette petite coupelle quadrillée utilisée pour compter et séparer différents spécimens. Enfin, un troisième chapitre nous mène sur le terrain de l’observation, des associations et des plans de préservation. On y trouve une boîte de mise en rivière de mulettes juvéniles réalisée à partir d’une armoire bretonne[4], ainsi que des images témoignant de ces pratiques participatives.

Les trois sculptures préfigurent un geste inaugural qui renvoie au récit de Pline l’Ancien sur le mythe fondateur de la peinture : la première image naît du contour d’une ombre projetée sur un mur, produisant une tension entre anticipation et représentation. Dans cet environnement liminaire où plusieurs temporalités coexistent, nous devenons les observateur.rices d’une œuvre sculpturale qui suggère une œuvre filmique sans la dévoiler. Au cœur de cet entre-deux se tapit la promesse de quelque chose qui vient, comme cette image sensible, complexe et déterminante, qui était peut-être là depuis le début.

Thibaud Leplat


 


 


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[1]Emanuele Coccia, La vie sensible, Rivages, 2018

[2]Économique (industrie du bouton de nacre, perliculture), culturelle (artefacts) et sur les écosystèmes fragiles et en péril de notre histoire écologique contemporaine (plan nationaux d’action pour la préservation de mulettes).

[3]Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, 2012

[4] Le programme LIFE pour la réintroduction de mulettes perlières en rivière de Bretagne arrivant à sa fin en 2021, l’écologue Ronan Le Mener réalise à partir de bois récupéré d’une armoire bretonne familiale des boîtes imputrescibles pour la mise en rivière des mulettes juvéniles.