April 7 - May 27, 2018

Les trois pistes

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FR


De la vitesse, qui est la finalité de la course en roller, Valentin Guillon ne retient dans sa première exposition personnelle que les éléments qui la rendent possible, qui la représentent, qui l’accompagnent. Et qui donnent lieu à autant d’œuvres : sculpture, peinture, sérigraphie et ready-made. Elles semblent autant d’effets de translation d’éléments, notions ou objets propres à cette pratique sportive. De l’aveu de l’artiste, l’expérience de la course, et l’effort de mentalisation que requiert cette pratique sportive informe sa pratique artistique. Mais, à adopter une logique de modélisation, ne risquerait-on pas de passer à côté de la réelle force du travail de l’artiste ?

La sculpture À vos marques consiste en une reproduction à l’échelle 1 d’un morceau de piste de roller de vitesse, une piste inclinée courbe au niveau du centre du virage sur laquelle l’artiste a pratiqué ce sport. Le spectateur, en entrant dans la galerie, se trouve face aux coureurs. Extraite de la piste complète d’une circonférence de 200 m, la sculpture devient une estrade, sur laquelle le public est invité à marcher, et que l’équipe de la galerie doit traverser pour rejoindre son bureau. Une nouvelle fonctionnalité, un nouvel usage requalifient les formes de la piste en œuvre praticable.

Trois peintures géométriques sur bois renvoient, par leurs titres, à autant de moments vécus par les coureurs sur la piste : Le peloton, L’échappée, Le sprint. Ces moments de course de vitesse, donnent naissance  à des formes statiques. Certes, les aplats de couleur évoquent les formes marquées au sol, les couleurs des équipements sportifs, mais ils renvoient à autant de moments de tension d’une course de vitesse, à autant d’expériences sensibles complexes dans lesquelles interviennent force physique, sens tactique, capacités musculaires et compétences techniques. Les formes sont le signe d’autant de forces, leur répétition renvoie à la répétition dans la préparation du coureur.

Un banc de bord de piste est présenté dans le white cube. Il s’agit du seul élément de cette pratique sportive qui renvoie a priori à un état statique, et conserve sa fonction. Mais il invoque moins le repos qu’il permet que la situation d’attente dans laquelle se trouve celui qui s’y assoit – et qui n’est concentré que sur la course à venir. Un banc qui œuvre au refus de sa propre fonction – autant dire déjà une œuvre.

On pourrait être tenté de penser que l’artiste établit des correspondances, des rapports, des transferts entre une activité sportive, qui possède son propre registre de formes, de couleurs, son propre langage, ses propres codes, et qu’il les rejoue, retente, redéploie dans l’espace d’exposition. On pourrait voir là une nouvelle stratégie qui considère l’artiste comme sportif, comme il fut déjà pensé « comme » producteur, anthropologue, ethnographe, sampleur ¹… Mais ce serait là se tromper quant au sens même de la production artistique de Valentin Guillon : elle n’a pas pour modèle une pratique sportive spécifique – un modèle suppose une prise de distance. Une distance que l’artiste refuse, puisqu’en dépit du changement de vitesse, de taille, de fonction, l’expérience qu’il provoque est commune aux deux champs, plutôt qu’il ne transfère l’une sur l’autre : à la fois exercice physique et exercice de mentalisation. C’est alors autant à réévaluer l’expérience artistique qu’à réévaluer la compréhension que nous pouvons avoir de pratiques physiques que nous invite Valentin Guillon: toutes deux sont des expériences, et elles s’informent mutuellement. Ou plutôt : on retrouve chacune dans l’autre. La pratique sportive est déjà art et l’art est à nouveau pratique corporelle. Alors, dans un cas comme dans l’autre, une seule consigne : Mets la gomme ! ²

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¹ On reconnaîtra, dans l’ordre, les hypothèses de Walter Benjamin, Joseph Kosuth, Hal Foster, Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours.
² C’est là le titre de l’ultime œuvre présentée dans l’exposition, une sérigraphie.

 
Vincent Romagny



EN


Valentin Guillon only retains from speed, which is the end game of the roller-skating race, in his first solo exhibition, the elements that make it possible, that represent it, that accompany it. And that give rise to a host of works: sculpture, paintings, silk screens and ready-mades. They to be the effects of translating elements, ideas or objects specific to this sport. By the artist’s admission, the experience of the race and the mentalizing process that this sport requires inform his artistic practice. But, to adopt a modeling logic, doesn’t one risk missing the real strength of the artist’s work? The sculpture À vos marques [On Your Mark] consists of a reproduction on a 1:1 scale of a portion of a speed-skating track, an inclined track curved in the center of the turn on which the artist practiced this sport. The spectator, upon entering the gallery, finds himself faced with the skaters. An extract of the complete track with a circumference of 200 meters, the sculpture becomes a platform, on which the public is invited to walk, and that the gallery’s team must cross to arrive at its office. A new functionality, a new use turns the forms of the track into a practicable work. Three geometric paintings on wood make reference, through their titles, to moments experienced by the skaters on the track: Le peloton, L’échappée [The Breakaway], Le sprint. These moments of a speed race give rise to static forms. Of course, the flat areas of color evoke the forms marked on the track, the colors of the team’s equipment, but they also make reference to moment of tension in a speed race, to complex and sensitive experiences in which physical strength, a sense of tactics, muscular capacities and technical skills intervene. The forms are the sign of forces, their repetition refers to the skater’s practice sessions when he is preparing for the race. A bench alongside the track is presented in the white cube. It is the only element of this sport that refers a priori to a static state, and retains its function. But it invokes to a lesser degree rest than the waiting situation in which the person who sits on it finds himself – and who is only focused on the race to come. A bench that works at the rejection of its own function – suffice it to say already a work. We might be tempted to think that the artist establishes correspondences, relationships, transfers between a sports activity, which has it own register of forms, its own language, its own codes, and that he replays, re-attempts, redeploys them in the exhibition space. We could see in this a new strategy that considers the artist an athlete, as if he already thought “like” producer, anthropologist, ethnographer, sampler1 … But this would be a mistake as to the very meaning of Valentin Guillon’s artistic production: its model is not a specific sport – a model supposes taking some distance. A distance that the artist rejects, since despite the change in speed, size, function, the experience that he provokes is common to the two fields, in that he does not transfer one to the other: both physical exercise and mentalization exercise. It is therefore as much to reevaluate the artistic experience as to reevaluate the comprehension that we can have of physical activities that Valentin Guillon invites us to do: both are experiences and they reciprocally inform each other. Or rather: we find each of them in the other. The practice of a sport is already art and art is once again a corporeal practice. Therefore, in one case as in the other, a single instruction: Mets la gomme ! [Step on It!]

2 . 1 We will recognize, in order, the hypotheses of Walter Benjamin, Joseph Kosuth, Hal Foster, Yann Beauvais and Jean-Michel Bouhours.

2 This is the title of the final work presented in the exhibition, a silk screen.
Vincent Romagny